dimanche 31 octobre 2010

La fin du monde

La fin du monde des anciens se trouvait ici, au finisterre, à une centaine de kilomètres à l'ouest de Santiago. Ce cap avançant dans la mer se situe lui-même à trois kilomètres d'un superbe village appelé Fisterra. C'est également là que pour moi devait absolument se terminer ce voyage.

Je suis allé jusqu'à Fisterra en auto louée depuis Santiago avec Patrick, Philippe et Florence. Je ne pouvais pas être mieux accompagné.

Nous nous sommes d'abord rendus tôt en matinée à Muxia, un magnifique petit village de pêcheurs situé à une trentaine de kilomètres au nord de Fisterra. Finalement notre premier contact avec la mer et son odeur, la plage de sable beige pas encore piétinée, le cri des mouettes, le va-et-vient des vagues. Une redécouverte merveilleuse et un grand moment de bonheur, que nous avons savouré longtemps dans le silence et l'écoute.





Surprise! En prenant notre café un peu plus tard, voici qu'arrive Pol, ce Suisse-allemand rencontré le tout premier jour, le 23 août. Ma toute première bière avait été prise avec lui. Puis je croise Olivier, lui aussi rencontré le premier jour, à ma toute première pause, et que je n'avais revu qu'à deux reprises par la suite sur le Chemin. Ce fut comme ça toute la journée, des rencontres de pèlerins qui, comme nous, tenaient à venir terminer leur pèlerinage au bord de la mer.

Depuis Fisterra, en après-midi et avant l'arrivée des bus de touristes, j'ai marché les trois kilomètres montant vers le Cap du finisterre avec mes bottes, mon sac à dos et mes bâtons de marche, comme d'habitude. J'ai adoré cette sensation de reprendre la route après 48 heures d'arrêt. Philippe et Florence m'y ont accompagné.

Et là, même si c'était interdit, sur cette pointe rocheuse du bout du monde qui possède en plus un véritable aspect de bout du monde en raison de tous les arbustes qui y ont été brûlés accidentellement, j'ai pu faire ce dont je rêvait depuis longtemps, y brûler symboliquement certains des vêtements m'ayant si bien servi pendant ce long voyage: mes pantalons, quelques paires de chaussettes et t-shirts, même mes bottes qui ont fini de me casser les pieds, mais qui, au fond, ont très bien fait leur travail...ainsi que ma fameuse quatrième paire de bobettes.

Philippe, lui, pas attaché du tout à quoi que ce soit, a même brûlé sa crédentiale! Car en réalité, nous les pèlerins, avons progressivement appris à parcourir deux chemins simultanément, le chemin physique, qui est à peu près le même pour tous avec ses embûches de toutes sortes, ses cailloux, ses montées et descentes, sa surface mouillée et sa boue par moments, ses paysages merveilleux, ainsi que le véritable Chemin, celui du dedans, celui que l'on choisit de parcourir à sa façon, plus ou moins religieusement, plus ou moins spirituellement, plus ou moins seul, plus ou moins consciemment. À chacun son Chemin, en fait.








Le chemin physique se termine ici. Le Chemin intérieur n'a fait que commencer ici. Et une fois emprunté, ce Chemin, je crois qu'on ne le quitte plus et qu'il ne nous quitte plus.

Le moment le plus émouvant pour moi a été la descente de retour vers Fisterra. La tristesse était à son comble, mais la satisfaction aussi, celle d'avoir réussi, celle d'avoir mis certains démons à leur place et d'avoir appris un peu à vivre avec eux, celle d'avoir également appris un peu à vivre avec mes anges, cette belle contre-partie des démons (à chaque démon son ange, quoi!), celle d'avoir fait et terminé le Chemin du mieux que j'ai pu. Une voyage inoubliable, une expérience de vie unique, des rencontres extraordinaires, des souvenirs impérissables, et un Chemin merveilleux.




Santiago de Compostela, le jeudi 28 octobre 2010.

lundi 25 octobre 2010

Étape 61 - Lundi 25 octobre - Lavacolla - Santiago de Compostela - 10,2 km

Je m'en suis gardé une toute petite pour la fin, pour pouvoir la déguster.

Je suis finalement arrivé à Santiago à 10:30 ce matin, devant l'immense cathédrale. Je suis allé immédiatement à l'office des peregrinos pour y prendre ma Compostella, et en sortant, je rencontre Sylvie, de Moncton. J'avais décidé de me gâter et de m'offrir deux nuits au Parador de la place, ces vieux bâtiments récupérés par le gouvernement espagnol à la fin du régime Franco, vers 1975, pour en faire des hôtels de luxe, propriété donc de l'état et exploités par lui. Sylvie est ici depuis hier et savait que je logerais là, et elle m'y a escorté au travers ce dédale de rues compliqué entourant le cathédrale.

J'ai eu le temps de déposer mes affaires, me doucher et me rendre à ma messe de midi, dans une cathédrale bondée, avec je dirais 1000 personnes et 10 prêtres. Impressionnant, mais comme tout se déroulait en espagnol et que j'étais debout et avec des jambes fatiguées, j'avais un peu hâte que la cérémonie se termine. J'ai aperçu Jean-Francois et Josette vis-à-vis moi, mais de l'autre côté. Ça m'a fait tellement plaisir de voir qu'ils avaient réussi à compléter leur Chemin, du fait que Josette est aux prises avec une bonne tendinite depuis au moins 110 km. Chapeau. Puis j'ai aperçu plein d'autres pèlerins croisés presque quotidiennement, Chantal, Patricia, Roland.

Après la messe, vers 13:15, je me suis dirigé vers une petite terrasse que j'avais repérée pour m'y installer et attendre l'arrivée de tous les autres. Il y a une dizaine de jours, j'avais lancé l'idée d'une rencontre pour une bière devant la cathédrale, aujourd'hui à 14:00 heures. Je relançais l'invitation à chaque fois que je rencontrais un pèlerin et quelques uns ont emboité le pas. Nous nous sommes finalement retrouvés une trentaine de pèlerins sur cette terrasse, au beau soleil, pendant deux heures. Un très beau moment, avec les félicitations, les accolades et les larmes. Et beaucoup d'échanges d'adresses e-mail.







Mardi le 26 octobre

Patrick est finalement rentré ce matin. Super. J'ai loué une voiture et on se pointe tous les deux au Finisterre demain. Un simple aller-retour dans notre cas, mais tout de même une journée importante. La grande marche est terminée et je veux commencer à fermer la boucle avec cette visite au bout du monde des anciens, là où les pèlerins du Moyen-Àge n'avaient d'autre choix que de rebrousser chemin et rentrer chez eux. Patrick rentre chez lui à Marseilles jeudi et moi je file sur Porto pour trois jours.

Une surprise de taille aujourd'hui, l'arrivée de Philippe pendant que Patrick et moi terminions notre lunch. Toutes ces retrouvailles de pèlerins croisés et décroisés sur le Chemin sont peut-être ce que je trouve le plus émouvant ici, à Santiago.

Je ne sais pas si je vais avoir accès à Internet d'ici mon retour à Montréal, alors je voudrais profiter de l'occasion pour remercier tous ceux et celles qui m'ont suivi et encouragé pendant ce très long voyage. Vos commentaires et vos courriels m'ont beaucoup aidé et ont très souvent contribué à me faire avancer dans mes réflexions. Une très gros merci à vous.

Et puis un merci tout spécial aux près de 40 donateurs à la Société Canadienne du Cancer, en appui à ma demande. Nous en sommes à plus de 4,300$ mais tous les dons ne sont pas encore comptabilisés. Je suis particulièrement heureux de ce résultat et je vous dis merci du fond du cœur.

A très très bientôt.

Denis, de Santiago de Compostela.

dimanche 24 octobre 2010

Étape 60 - Dimanche 24 octobre - Arzua - Lavacolla - 26,3 km

Cette avant-dernière étape s'est faite sous la pluie et je n'avais qu'un seul objectif en tête aujourd'hui, la compléter et me rendre à Lavacolla, en banlieue immédiate de Santiago, le plus vite possible. Je crois que j'étais un cas de "rage aux bâtons" sur le chemin aujourd'hui.

Lavacolla est une étape traditionnelle du Chemin. C'est ici que les pèlerins du Moyen-Âge s'arrêtaient pour se laver, à l'eau froide de la rivière bien sûr, avant de terminer leur pèlerinage et se rendre rencontrer Saint-Jacques. Alors je voulais m'arrêter ici, même si j'aurais eu amplement le temps d'arriver à Santiago hier, ce que quelques uns ont fait d'ailleurs.









Il ne me reste que 10,2 km à marcher demain matin!!!!!


Envoyé à partir de mon iPad.

Étape 59 - Samedi 23 octobre - Palas de Rei - Arzua - 29,5 km

Ça a pris tout mon petit change pour me décider de faire cette longue étape, mais ça s'est finalement plutôt bien déroulé! Je dois dire cependant que mes jambes, et surtout mes tendons, me rappellent de plus en plus qu'il est grand temps que cette longue marche se termine. Ils m'ont fait promettre d'arrêter tout ça à Santiago. De toute façon, je n'aurais vraiment pas le courage ni la force d'aller plus loin. Une seule autre grosse journée, demain, et ensuite c'est "Santiago, here I come!"












Compostelle, c'est parfois devoir marcher dans le brouillard...pour ensuite pouvoir avancer dans la lumière.


À bientôt.

Étape 58 - Vendredi 22 octobre - Portomarin - Palas de Rei - 25,0 km

Une étape toute en douceur en compagnie de mon amie mexicaine Patricia, avec toujours de très beaux paysages pour agrémenter ma vie.

Il ne me reste qu'environ 66 km à parcourir, en trois étapes, et j'ai choisi de les marcher seul, question de mieux rentrer à nouveau dans ma bulle pour cette fin de voyage.

La joie de terminer bientôt est bel et bien là, la tristesse de voir s'achever une aussi belle expérience de vie aussi, mais je crois que la satisfaction l'emportera. Je ne me sens pas l'énergie de faire plus que ces 66 km restants. J'aurais voulu, il y a un mois à peine, pousser la machine et faire à pied les 90 km additionnels pour me rendre au finisterre, tout au bord de la mer, mais j'ai changé d'idée sur cette question un peu avant León, il y a quelques semaines. Tout ce qui m'intéresse au finisterre est d'y brûler mes vieux vêtements et mes bottes. C'est la symbolique de ce geste qui m'importe et le marcher n'y ajoute plus rien dans mon esprit et dans mon cas personnel.

Mourir à quelque chose et renaître à autre chose. C'est ce que brûler ces vieux vêtements me permettrait de faire symboliquement. Seulement j'ai rencontré aujourd'hui un type qui revenait justement du finisterre et qui m'a expliqué que les feux y étaient dorénavant interdits. J'en suis évidemment très déçu, mais après réflexion, cela ne change rien. Je vais y aller, en bus ou en auto, m'y débarrasser de ces vieilles choses, et la symbolique sera la même pour moi. Tout se passe au dedans.












À bientôt.

Étape 57 - Jeudi 21 octobre - Sarria - Portomarin - 22,5 km

J'ai eu des nouvelles de Denis et de Philipppe hier soir. Ils sont tous les deux à deux jours de marche derrière. À moins qu'ils n'accélèrent, je ne les reverrai pas sur le Chemin, ni à Santiago, car je n'y resterai que le mardi après mon arrivée. Ce sera à Montréal qu'on se reverra, donc.

Quant à mon cher ami Patrick, il s'est rapproché beaucoup et n'est plus qu'à 18 km derrière. Il est encore possible qu'on puisse entrer ensemble à Santiago lundi, ou encore que je le voie arriver mardi s'il n'arrive que cette journée-là. Dans l'un ou l'autre cas, c'est super, mais j'adorerais qu'il me rattrape.

J'ai encore eu une météo superbe aujourd'hui et un sentier et paysages merveilleux. Je suis vraiment très gâté. Et puis tôt dans la matinée, j'ai fait la connaissance de Patricia, une mexicaine qui est en Espagne depuis une semaine et qui a décidé de faire les derniers 110 km du Camino depuis Sarria. C'était donc sa toute première journée sur le Chemin et j'ai marché avec elle presque toute cette première journée. Elle s'émerveillait de tout, des paysages, des arbres fruitiers, même des vaches, comme moi au tout premier jour. J'ai beaucoup aimé la voir réagir et ça m'a fait prendre conscience du fait que même si je trouve tout encore merveilleusement beau sur le Chemin, une bonne dose d'habitude s'est installée. L'émerveillement est moins intense qu'au début. Un petit rappel comme quoi on peut s'habituer facilement à tout, même à la très grande beauté.

Il y a nettement plus de monde sur cette dernière portion du Chemin. Plusieurs, comme Patricia, commencent ici, car un pèlerin n'a qu'à faire les cent derniers kilomètres à pied, ou les deux cent derniers à vélo, pour obtenir sa Compostela, une sorte de diplôme confirmant qu'il a complété le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Pour les espagnols, c'est important pour leur curriculum vitae, car c'est très bien vu, et on m'a même dit que c'était fortement recommandé pour pouvoir travailler au gouvernement. Dans un sens, c'est correct, car pour la grande majorité des gens, marcher 100 km représente un gros défi et obtenir un document certifiant qu'ils l'ont fait est tout à fait correct. Et puis marcher ces cent kilomètres peut très bien donner le goût d'en faire plus, comme c'est le cas pour Patricia qui voudrait maintenant faire un vrai camino, plus long. Mais d'un autre côté, cette histoire de Compostela est une vraie farce, car le diplôme est le même pour quelqu'un qui a fait 2,500 km avec 12 kg sur son dos et un autre qui en a fait 100 avec 3 ou 4 kg. J'appelle ces derniers les coureurs de diplôme. Et puis le pauvre pèlerin qui en a fait des milliers et qui se blesse dans le dernier droit et qui doit rentrer à Santiago en bus n'y aura tout simplement pas droit.

Alors dans mon esprit, la vraie Compostela réside dans le cœur du pèlerin. Tout comme le véritable Chemin.















À bientôt.

mercredi 20 octobre 2010

Étape 56 - Mercredi 20 octobre - Alto de Poyo - Sarria - 31,8 km

Une autre journée magnifique dans les montagnes, mais une étape longue, pour rejoindre Sarria, là où il y a plus de choix pour dormir. J'ai marché seul quelques heures en matinée, mais ensuite avec Sylvie, une francophone de Moncton, partie de Saint-Jean-Pied-de-Port à peu près en même temps que moi, mais dont j'ai fait la connaissance il y a quelques jours seulement.

En matinée, ces beaux nuages couchés au fond des vallées m'ont rappelé les Andes et le Pérou l'an dernier, le seul autre endroit où j'ai pu observer ce superbe phénomène.




















Envoyé à partir de mon iPad.