dimanche 3 octobre 2010

Étape 38 - Vendredi 1 octobre - S. Domingo de la Calzada - Belorado - 25,1 km

C'était bien lui, là, devant moi. Plus je m'en rapprochais, plus j'en étais convaincu. Il a dû partir très tôt, à la lampe, ou encore il est parti de plus loin que moi ce matin, car il était presque 10:30 heures lorsque je l'ai rejoint, et moi-même, je suis parti tôt, alors qu'il faisait encore nuit.

Toujours est-il qu'arrivé à sa hauteur, alors que j'étais maintenant certain qu'il s'agissait bel et bien de cet étrange personnage avec qui j'avais longtemps marché en gardant le silence il y a environ deux semaines, je me suis risqué à lui adresser la parole et l'ai salué. Il m'a salué à son tour et j'ai vu qu'il me reconnaissait. Et cette fois, il n'y a pas eu de marche du silence, mais bien une intense et profonde conversation. Nous avons discuté pendant des heures.

Je ne connais toujours pas son nom, ni sa destination, ni d'où il vient, ni son âge, mais j'en sais tout de même un peu plus sur qui il est. Mais pour des raisons pratiques, je l'appellerai Mathias. Pourquoi Mathias? Je n'en ai aucune idée, c'est tout simplement le premier nom qui m'est venu à l'esprit et je trouve qu'en fait, ça lui colle plutôt bien.

J'ai compris qu'il acceptait à nouveau de faire un bout de chemin avec moi parce que j'ai entièrement respecté sa bulle et son besoin de silence lors de notre première rencontre. Je l'ai trouvé très intéressant et passionnant et nous avons pu discuter de beaucoup de choses, mais certaines ont davantage retenu mon attention.

Il en est à son troisième pèlerinage de Compostelle et il est clair qu'il le fait pour des motifs religieux. Mais curieusement, il n'est pas pour autant un chrétien pratiquant. Du moins, c'est ce que j'ai compris. Je ne suis même pas certain qu'il soit catholique. Cette apparente contradiction m'intéressait, mais ne me surprenait pas vraiment. Ce qui m'intriguait le plus, c'était pourquoi trois fois et pourquoi de cette façon, avec cet accoutrement presque médiéval. Alors là, j'ai eu droit à toute une réponse.

Il m'a expliqué qu'il y avait dans la chrétienté trois grands pèlerinages, le plus important étant celui de Jérusalem, le second celui de Rome, et le troisième celui-ci, celui de Compostelle. Quelques personnes m'avaient bien parlé de ça auparavant, mais seulement de façon générale. Il l'a fait, ce Chemin de Compostelle, pour la première fois, il y a une dizaine d'années, plus par curiosité qu'autre chose, cherchant un peu un sens à sa vie, après une carrière en gestion que je crois fructueuse et dans le domaine de l'automobile, mais je ne sais pas où. Il avait ensuite décidé de faire celui de Rome, dans une optique de continuité, trois ans plus tard, mais il s'est rapidement rendu compte que son "contact avec le divin", comme il dit, n'était pas suffisamment direct et il sentait que çà le bloquait dans sa quête, l'empêchant d'aller plus loin dans ses pensées en quelque sorte. Il n'a pas complété ce pèlerinage de Rome. Il a plutôt décidé de refaire Compostelle, mais avec une préparation différente, dans une optique plus religieuse, mais non rituelle, comme d'un façon plus personnelle, indépendante des rituels imposés par l'Église.

Évidemment, pour un gars qui, comme moi, a peu d'admiration pour l'Église en tant qu'institution mais qui possède un coté spirituel aiguisé, son histoire me captivait et me fascinait au plus haut point.

Il a fait son deuxième Compostelle en 2006 et s'est arrêté partout où il a pu dans les gîtes et centres d'accueil chrétiens, dans les monastères, etc. Il s'est recueilli dans toutes les églises et chapelles où il a pu et le voyage lui a pris presque trois mois. Ça l'a amené à un autre niveau de spiritualité, comme s'il avait réussi à franchir un seuil et ouvrir un portail qu'il n'avait même pas détectés auparavant.

Alors il a entrepris le Chemin de Rome à nouveau l'année suivante, avec le même esprit et de la même manière, mais pour des raisons obscures qu'il n'a pas voulu m'expliquer, il n'a pu le compléter. Il y a toutefois rencontré un homme qu'il identifie comme son Guide et qui lui a fait comprendre ce qu'il devait faire de plus en termes de préparation pour pouvoir faire Rome et Jérusalem avec l'impact qu'il recherchait. Je ne sais pas ce dont il s'agit, mais il m'a dit que c'était pour cette raison qu'il entreprenait à nouveau Compostelle, dans un mode dit d'autosuffisance.

L'autosuffisance. J'ai entendu ce terme pour la première fois il y a trois ou quatre jours, lorsque j'ai rencontré mon ami Michel à Uterga, qui m'a expliqué qu'un ami intime, atteint du cancer, était justement en train de faire le pèlerinage de Rome en mode autosuffisance. C'est fou ce que ce Chemin de Compostelle peut être rempli de surprises, qui finissent parfois par s'assembler et se lier pour prendre un sens collectif différent!

Ce que j'en ai compris, c'est que l'autosuffisance, c'est un pèlerinage avec le dépouillement le plus complet que l'on puisse imaginer en ce XXI siècle: par d'argent, pas de carte de crédit ni de débit, pas de portable ni aucun autre appareil électronique, pas de montre, pas de GPS ni de guide papier, pas de crayon, pas de médicaments, pas de crèmes protectrices ou autres, pas de vêtements de rechange, rien d'autre que l'essentiel le plus strict et une confiance totale en la providence, jour après jour, pour le temps qu'il faudra. Faut le faire, faut vraiment le faire!

J'avais évidemment plein de questions pour un type comme ça et je voyais cette rencontre comme une vraie bénédiction. Pourquoi poursuivre cette quête comme ça et avec autant d'acharnement, de privation et de souffrance? A-t-il finalement trouvé un sens à sa vie à travers toutes ces démarches? Si oui, pourquoi refaire et refaire tous ces pèlerinages en boucle? Je lui ai aussi parlé de ma petite théorie sur les démons et nous avons eue une très bonne conversation à ce sujet. Et puis de ma page blanche.

Je manque de temps ce soir pour écrire davantage sur cette rencontre et ce que j'en ai retiré, mais je vous reviendrai dès que possible, car ce gars-là m'a vraiment impressionné et lancé sur toutes sortes de pistes de réflexion.

À +

PS. Désolé, pas de photos aujourd'hui, mais la route n'était vraiment pas fantastique de toute façon.


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