samedi 16 octobre 2010

Le Chemin des gens ordinaires

Il n'y a pas de classes sociales sur le Chemin de Compostelle, pas plus qu'il n'y a de système hiérarchique. Personne n'est au-dessus ou en-dessous d'un autre (sauf dans les lits superposés des albergues!). Il n'y a tout simplement pas de place pour ça ici; il s'agit d'une réalité qui se comprend rapidement et qui s'installe automatiquement dans chacun des pèlerins. Il n'y a pas de place non plus pour de la prétention, ni pour de la vanité, ni pour de la tricherie. Seulement pour de la simplicité, de la complicité, de l'entraide, de la bonté, de l'amour.

Je réalise à quel point Paulo Coelho, dans son "Le Pèlerin de Compostelle", avait merveilleusement choisi ses mots en qualifiant ce chemin de "chemin des gens ordinaires". J'ai lu ce livre il y a un an et demi environ, mais je le lis à nouveau occasionnellement depuis mon départ. J'avais bien compris ce qu'il voulait dire dès la première lecture, mais ici, en vivant Compostelle, ces simples mots prennent véritablement leur pleine signification. Il est même allé jusqu'à écrire que "l'extraordinaire se produit sur le chemin des gens ordinaires", ce dont il doutait fortement lui-même avant d'entreprendre son propre pèlerinage il y a vingt-cinq ans.

Je crois que Mathias m'a fait comprendre un peu la même chose à sa façon. Ayant entrepris ce chemin un peu par curiosité et avec une vague impression que ça pourrait apporter un peu de positif dans sa vie, il semble en avoir retiré quelque chose de particulièrement précieux, tout comme Coelho. Il m'a confié y avoir en effet trouvé progressivement un sens nouveau et plus satisfaisant à sa vie. Dans son cas, après son premier Compostelle, il a commencé à s'occuper de gens qui sont dans le véritable besoin, de plusieurs façons, pas seulement financièrement, mais via un engagement personnel dans divers organismes d'aide, localement et internationalement. Il dit que cela a été pour lui la seule façon logique de pouvoir rendre un peu aux autres une partie du bien-être qu'il a lui-même reçu de la vie. À chaque nouveau pèlerinage, il vient se ressourcer et puiser une énergie plus grande lui permettant d'aller toujours plus loin dans cette relation d'aide.

C'est bien évident que c'est quelque chose qui m'inspire beaucoup depuis cette conversation avec lui, il y a déjà plus de deux semaines. Je me demande d'ailleurs souvent où il en est rendu dans son pèlerinage, mon ami Mathias. Je ne l'ai pas revu depuis cette deuxième rencontre avec lui, et je pense presque quotidiennement à tout ce qu'il m'a raconté si généreusement sur Compostelle et ces pèlerinages vers Rome et Jérusalem. Il semble bien que toutes les grandes religions du monde ont leur pèlerinage. Les musulmans, par exemple, ont le devoir de faire un pèlerinage à La Mecque au moins une fois dans leur vie. Même chose dans le judaïsme en ce qui concerne Jérusalem. Pour les juifs, Jérusalem était avant tout une ville de pèlerinage. Dans l'ancien temps, trois fois par an, tous les Israélites devaient monter au Temple. Aujourd'hui encore, à ma connaissance, les juifs vivant hors d'Israël doivent se rendre en pèlerinage à Jérusalem au moins une fois dans leur vie. Même l'hindouisme en a un, que Mathias m'a décrit, mais dont j'oublie les détails.

Seul le christianisme en tant que grande religion n’a jamais édicté une loi obligeant ses fidèles à se rendre en pèlerinage à la ville sainte, bien que les pèlerins voulurent la visiter dès les premiers siècles après Jesus-Christ.

C'est peut-être cette absence d'obligation qui explique qu'il y a de moins en moins de véritables pèlerins sur ce Chemin de Compostelle. Par véritables pèlerins, j'entend ceux qui le font pour des motifs religieux, avec l'intention d'aller vénérer les reliques de Saint-Jacques à Santiago. Amar m'avait demandé justement si je croyais être en train de faire un pèlerinage. Je lui ai répondu que non, mais je ne savais pas très bien comment répondre en réalité. Il m'a très bien expliqué, et Mathias aussi, qu'il n'y avait pas de véritable pèlerinage sans démarche religieuse. Par définition, un pèlerinage est d'abord une démarche religieuse. Ce n'est pas mon cas, et mis à part Mathias et Amar, je n'ai rencontré qu'un seule personne à date qui pourrait affirmer qu'elle fait vraiment un pèlerinage. Nous sommes tous des "peregrinos", mais... Ça ne m'empêche pas d'en faire une démarche spirituelle et intérieure, mais appelons les choses par leur nom!

Il est clair toutefois que ce Chemin de Compostelle demeure un magnifique et extraordinaire chemin de gens ordinaires.

Denis, à Rabanal del Camino, le 15 octobre 2010


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